" /> Angela - Côteaux de la Boivre

Côteaux de la Boivre

Chroniques des Marches

Angela

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Angela M.


La Baltique, très à l'Est

C'est drôle Anguélah, je n'arrive toujours pas à
me faire à cette dureté spartiate du G [g].
Et la voyelle finale qui traine, la bouche ouverte
expirant le a, longtemps.


Angela, pour moi, c'était la baie de Naples. Son g (djé [dz]) vibrant de douceurs prometteuses. Et ces Italiennes affriandantes dans leurs robes de fin coton fleuri, transparentes, qui laissaient deviner des formes comme des ombres dans la lumière éclatante du Sud.

J'avais aussi comme figure d'Angela, l'exote et exubérante chevelure afro d'Angela D., icône taillée dans une ébène métissée. Jeune.

Vers la fin d'un après-midi éclatant, je marchais sur une plage au bord de la Baltique pas loin de Peenemünde. L'endroit presque désert, s'est rempli d'un seul coup d'hommes sortis de nulle part, affairés, silencieux, méfiants assez pour me faire sentir l'incongruité d'être là, si loin de chez moi.
Touriste improbable d'un endroit si peu connu et dont l'attrait n'avait guère qu'un écho régional. Un pays, quoi, comme avant, un pays de gens d'ici.

D'un peu plus loin une silhouette assez massive, d'une femme, qui venait vers moi et qui eut un geste une main qui s'élève et retombe. Un geste qui, sous son apparence anodine, a eu le merveilleux et inquiétant effet de faire disparaitre en quelques secondes la compagnie masculine et renfrognée comme si ces hommes n'avaient jamais existé. Disparus !

Elle qui venait vers moi, d'un pas de promenade, pas pressée. Je n'ai pas eu le temps de saluer qu'elle m'avait, en allemand souhaité un bon jour. Et je répondais machinalement en français : « bonjour madame ».

C'est ainsi que nous avons parlé elle et moi en anglais, parfaitement maitrisé par elle, quant à moi, bon, c'était pitoyable, mais elle ne s'en offusquait pas pire, elle riait de ma syntaxe littérale.

Son visage était fripé par l'âge et, sans doute, aussi par autre chose, une sorte de pression intérieure, indescriptible, mais qu'on ressentait.

Souvent, des femmes comme elle, plutôt seules, me parle en dépit du fait que je leur sois parfaitement inconnu. Je ne sais pas pourquoi, elle me parle. Un goût qui leur prend de conversation, je n'ai guère d'autre choix que de discuter sur les sujets qu'elles abordent selon leur fantaisie.

Une vraie vicissitude pour moi, car même si elles me plaisent quelquefois, Éros ne circule pas. Et mes désirs je me les ravale, parce que manifestement ce qui leur plait, c'est que je les écoute. Point barre.

Je n'ai guère caché mon air ahuri quand elle m'a proposé qu'on dîne ensemble, là maintenant tout de suite. Il était encore tôt même si le crépuscule s'annonçait en noircissant un peu le bleu métallique de la mer calme et qui bruissait à peine en affalant ses vaguelettes sur le sable.

Angela. Elle se présenta, Angela. Rien d'autre que ce prénom à la consonance éclatante. Moi, j'ai lâché aussi mon patronyme aussi ridicule que rare. Et elle trouva le moyen de m'épater en y reconnaissant le nom d'une petite ville d'Angleterre. Je ne savais pas.

Plus tard encore, il fait nuit. Nous sommes dans sa chambre d'hôtel. Elle, là, nue. Très à l'aise. Elle a un sourire d'une infinie mélancolie. Et aussi une forme de tendresse amicale qui me parait étonnante, oui, nous ne nous connaissons pas et nos échanges ne tenaient pas du marivaudage.

Son corps est étonnamment lisse et la peau est comme celle d'une jeune femme. Elle n'est pas grosse. Simplement, elle est ample, large, féminité désuète des corps de beaucoup de femmes, autrefois.

Et le contraste est saisissant de son corps encore jeune et de son visage de dame âgée. Elle veut jouir discrètement de sa chair sans façon. Sans mot dire, elle sait imposer par son seul regard brillant ses désirs et m'affrioler.

Plus tard...
Elle est endormie, avec grande précaution, je quitte la chambre, mes chaussures à la main. Je les enfile dans le couloir sous le regard torve d'un hercule en costume sombre.
La nuit à demi, seul dans le désert des rues. Angela.