" /> Anatomie du silence. - Côteaux de la Boivre

Côteaux de la Boivre

Chroniques des Marches

Anatomie du silence.

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J’observe les commentaires sur la guerre plus que le cours des hostilités car le déroulé des combats m’horripile. J’essaie d’anticiper sur l'après conflit car, s’il parait s’éterniser, il faudra bien qu’il se termine un jour. Je lis ce que disent quelques vieux barbons de mon espèce, dissidents notoires, oligarques déchus et professeurs éloignés de leurs étudiants. Entre autre le gauchiste Boris Kagarlitsky dont on peut craindre à tout moment qu’il soit réduit au silence vu qu’il est déjà affublé du titre d’ « agent étranger » et forcé de ne publier sur quelque support que ce soit qu’en faisant précéder son texte d’une mention obligatoire en majuscules... Boris Kagarlitsky

Son post du jour (8 juin 2022) :

LE MESSAGE (MATÉRIEL) EN QUESTION A ÉTÉ CRÉÉ ET/OU DIFFUSÉ PAR UN MÉDIA ÉTRANGER EXERÇANT LES FONCTIONS D'UN AGENT ÉTRANGER ET/OU UNE ENTITÉ JURIDIQUE RUSSE EXERÇANT LES FONCTIONS D'UN AGENT ÉTRANGER.

« La question de la signification du silence m'a occupé l'esprit ces derniers temps. Nous nous souvenons tous, depuis notre enfance, des formules « le silence est d'or » ou « le silence est un signe de consentement. Beaucoup de gens se souviennent des lignes d'Alexandre Galitch :

C'est si facile de s’embaucher chez les bourreaux :
Tais-toi, tais-toi, tais-toi !

Mais on a aussi la célèbre fin du "Boris Godounov" de Pouchkine : "Le peuple est sans voix". Selon Galitch, le silence dissimule l'accord, la soumission et la complicité passive. Pour Pouchkine, il constitue une menace sinistre.

Le silence russe moderne est aussi diversifié que l’est notre société. Observant le silence des savants, des députés, des administrateurs et des philistins, je ne peux m'empêcher de m'interroger sur les différentes significations qui peuvent y être investies. Les pouvoirs publics nous ont déjà fourni un ensemble de "bons" mots et, surtout, les occasions dans lesquelles ces mots doivent être prononcés. Prendre la parole, du point de vue des personnes au pouvoir, est presque aussi mauvais qu'exprimer son désaccord. C'est pourquoi, d'ailleurs, certains patriotes tout à fait sincères et nullement enclins à la contestation sont confrontés à des problèmes.

Certains se taisent parce qu'ils ne peuvent pas donner un sens à tout cela. Le mutisme est signe de perplexité. D'autres s'en moquent en principe. Ils ne savent même pas que leur silence peut avoir un sens. On ne peut pas parler de politique. Ou on peut ne pas y penser. Rien. Pas du tout. Pas du tout. Et cela est vrai pour la grande majorité de nos compatriotes. Pas pour penser et même pas pour savoir. Parce que ceux qui croient que les citoyens du pays savent et s'intéressent à ce qui se passe dans ce pays ont tort. Les gens s'intéressent beaucoup plus à leur famille, à leurs proches, à leurs collègues de travail et à leurs animaux de compagnie. Il est en effet plus agréable de penser à eux que de penser aux intrigues du Kremlin ou aux événements en Ukraine.

Il y a, bien sûr, le traditionnel silence de l'assentiment. Ça convient bien aux patrons. Il vaut mieux se taire à temps que de parler à contretemps. Bien qu'un certain flair soit nécessaire ici aussi. Tout le monde n'est pas doué pour garder le silence en temps voulu.

Il y a un silence d'objection qui résonne même autant qu'une protestation résolue. Il y a une sorte de silence insistant et confiant qui cache une position qui n'est pas moins ferme que celle de ceux qui s'opposent.

Mais certains se taisent simplement par peur. Ou ils attendent. Ils s'exprimeront sans doute, mais seulement lorsque tout sera clair comme de l'eau de roche. Parmi les députés de la Douma d'État, je distinguerais toute une faction de silencieux. Il est essentiellement multipartite, mais prometteur à sa manière. À l'avenir, ces personnes seront fières de leur silence et en parleront en détail. Ils écriront même des mémoires sur la façon dont ils ont réussi à se faire si bien taire dans une situation aussi difficile.

Et pourtant, quelque part au loin, j'entends l'écho de ce même formidable silence. Le silence du peuple décrit par Pouchkine. »

NdT¹ : Alexandre Galitch
¹ Merci au traducteur anonyme.